Brazzaville célèbre un livre trilingue
La nef blanche de la cathédrale Sacré-Cœur rayonnait, ce 25 octobre 2025, d’une agitation inhabituelle. Curieux, fidèles et amoureux des lettres s’y pressaient pour découvrir, stylo en main, le nouvel ouvrage du Père Jean-Marie de l’Eucharistie Bernardin Ndoulou.
Intitulé « Chemin de croix à Jésus par et en compagnie du cardinal Émile Biayenda », le livre compte 82 pages et paraît simultanément en français, lingala et lari, une première dans l’édition religieuse congolaise selon l’éditeur Maurice Loubouakou.
Devant les tables de vente-dédicace, certains visiteurs évoquaient leurs souvenirs d’enfance, d’autres interrogeaient l’auteur sur ses choix linguistiques. « Je voulais que chaque lecteur, où qu’il vive, entende la voix de Jésus dans la langue qui berce son quotidien », confia le prêtre.
Un hommage vibrant au cardinal Émile Biayenda
La figure du cardinal Émile Biayenda, premier prêtre congolais élevé au cardinalat en 1973, irrigue chaque page. L’auteur le décrit comme « un pont entre ciel et terre », rappelant son engagement pour le dialogue social et la réconciliation nationale.
Dans la préface, Mgr Huldever Mouanga, président de la Commission épiscopale pour l’évangélisation, souligne que « se mettre à l’école du cardinal, c’est embrasser l’humilité et l’espérance ». Une ligne que le livre prolonge en méditations courtes et accessibles.
Chaque station du chemin de croix est associée à une anecdote de la vie de Biayenda : son attention aux orphelins, sa passion pour la musique sacrée, sa discrétion même aux heures sombres. Cette approche donne chair aux traditions liturgiques.
Un parcours spirituel pensé pour tous les fidèles
Le Père Ndoulou, ordonné en 2002, n’en est pas à son premier essai. Ses précédentes brochures catéchétiques étaient déjà remarquées pour leur pédagogie, mais il confie avoir voulu aller plus loin : « Un livre doit accompagner la vie intérieure, pas seulement l’instruire ».
Pour bâtir sa structure, l’auteur dit avoir prié dans différentes paroisses de Brazzaville et de Kinkala, interrogeant les besoins des jeunes chorales, des couples engagés et des personnes âgées. Ces rencontres ont orienté la longueur des chapitres et le choix des témoignages.
Le résultat, explique l’abbé critique Bilou, « se lit d’un trait, mais invite à s’arrêter, respirer, méditer ». Les phrases courtes alternent avec des refrains de prière, créant un rythme quasi musical que plusieurs participants ont comparé à un rosaire chanté.
Trois langues, un même message de paix
Le choix du trilinguisme répond à une ambition pastorale et citoyenne. Le lingala, langue véhiculaire des grands centres urbains, et le lari, enraciné dans la région du Pool, rejoignent le français pour élargir le lectorat au-delà des cercles strictement catholiques.
« La foi se partage mieux quand elle épouse les intonations de la maison », résume sœur Angélique Mavoungou, venue de Pointe-Noire. Selon elle, la version lari pourrait même servir de support dans les ateliers d’alphabétisation paroissiaux qui utilisent déjà des chants traditionnels.
Pour la maison d’édition L.M.I., cette triple parution illustre l’évolution du marché du livre religieux au Congo-Brazzaville. « Les fidèles réclament des textes enracinés dans leur culture, mais rigoureux sur le fond », observe le directeur. D’autres titres multilingues seraient déjà en cours.
Distribution, prix et réception du public
Disponible dans les paroisses et les librairies spécialisées, l’ouvrage est proposé à 3 000 francs CFA au comptant. Plusieurs lecteurs ont apprécié ce tarif « abordable pour un petit groupe de prière », surtout en période de hausse générale des prix de l’imprimé.
Dès la première heure, une centaine d’exemplaires est partie. Des étudiantes en théologie espéraient que leur faculté adopte le texte. Un retraité, carnet à la main, y a fait inscrire sa date de confirmation, persuadé que « le livre marchera avec moi ».
Le diocèse envisage déjà une tournée de présentation à Dolisie et Owando. L’objectif est double : stimuler la lecture dans les communautés et financer, grâce aux ventes, de petites bourses pour les catéchistes bénévoles qui suivent une formation longue.
En refermant les portes de la cathédrale, le Père Ndoulou a glissé quelques mots de remerciement aux bénévoles avant de promettre un second tome consacré aux mystères joyeux. Les nombreux sourires laissaient penser que la promesse était déjà attendue.
Vers une renaissance de l’édition religieuse congolaise
Pour le sociologue du livre Rodrigue Nsona, la mobilisation observée à la cathédrale illustre « une soif de contenus locaux de qualité, au moment où les réseaux sociaux dominent la conversation ». À ses yeux, l’édition confessionnelle pourrait devenir un laboratoire d’innovation linguistique.
L’État, de son côté, soutient déjà la Foire du livre de Brazzaville. Interrogé dans l’allée latérale, un responsable du ministère de la Culture rappelle que « le pluralisme éditorial passe par la reconnaissance de toutes les langues nationales, surtout lorsqu’elles portent un message de concorde ».
À court terme, les partenaires envisagent un tirage audio en podcast, afin d’atteindre les malvoyants et les fidèles habitant les zones rurales sans librairie. Cette adaptation utiliserait des voix de comédiens locaux, renforçant l’ancrage communautaire voulu par le Père Ndoulou.
Si le projet aboutit, il rejoindra les plateformes numériques nationales récemment lancées, preuve que la tradition religieuse et l’ère digitale peuvent s’épauler pour toucher chaque conscience.
