Une décision prise dans l’urgence sécuritaire
Le ministère de l’Intérieur a surpris les importateurs le 31 octobre en annonçant, par circulaire, la suspension immédiate de toute entrée de machettes et de motos sur le territoire national. L’arrêté, qualifié de « mesure conservatoire », s’inscrit dans la riposte contre les violences urbaines.
Selon le porte-parole du gouvernement, Thierry Moungalla, l’objectif est « de couper l’herbe sous le pied aux bandes armées qui exploitent ces produits pour semer la terreur ». Les services de douane et de police sont mobilisés dans les ports et les corridors routiers pour appliquer la directive.
Le texte ne fixe ni durée ni calendrier de révision, mais précise que la levée dépendra des conclusions d’un audit sécuritaire actuellement conduit par un comité interministériel. « Le gouvernement souhaite des données fiables avant de rouvrir le marché », glisse une source proche du dossier.
Des commerçants entre prudence et incertitudes
Dans les échoppes du marché Total, les grossistes de quincaillerie observent déjà leurs stocks. « Nous avons trois conteneurs en mer, impossible de savoir s’ils seront débarqués », soupire Mireille Okemba, distributrice depuis quinze ans. Elle craint des frais supplémentaires de stationnement et une flambée des prix.
Côté motos, les concessionnaires constatent encore une fréquentation normale. Les modèles d’entrée de gamme, importés d’Asie, couvrent habituellement près de 40 % des ventes mensuelles. « Nous travaillons sur nos stocks tampon, mais si la suspension dure, les rayons se videront », anticipe Emmanuel Bemba, gérant d’AgriMoto.
Les usagers divisés: mobilité versus sûreté
Pour les habitants des quartiers périphériques, le taxi-moto demeure la solution la plus rapide pour rejoindre le centre-ville. Joël, fonctionnaire domicilié à Makélékélé, salue pourtant la décision officielle. « Beaucoup de malfrats se cachent derrière un casque ; mieux vaut réguler, même si je dois marcher davantage ».
Nathanaël, livreur indépendant, exprime l’avis contraire. Ses tournées l’amènent dans les ruelles pentues de Mfilou, inaccessibles en voiture. « Sans renouvellement de motos, nous perdrons des clients. La sécurité est importante, mais il faut aussi vivre », plaide-t-il, plaidoyer repris par plusieurs associations de transporteurs.
L’agriculture face au manque d’outils
Dans le Pool, où l’économie repose largement sur le manioc et l’arachide, la machette est l’outil de base. Le responsable d’un groupement coopératif rappelle que chaque paysan en achète une neuve tous les deux ans. « Interdire n’est pas punir, mais protégeons aussi la production », argumente-t-il.
L’Union nationale des producteurs a sollicité une réunion avec le ministère de l’Agriculture afin d’obtenir un régime dérogatoire. Des pistes sont étudiées, comme un quota d’importation réservé aux coopératives ou le renforcement des coutelleries locales. Aucune décision n’a encore été officialisée, mais les discussions avancent.
L’ajustement progressif des textes d’application
La Direction générale des douanes assure qu’aucun conteneur déclaré avant la date d’entrée en vigueur ne sera bloqué, pour éviter les litiges commerciaux. Les nouvelles déclarations, elles, restent gelées. Des agents ont été dépêchés dans les zones franches pour expliquer la procédure aux opérateurs.
D’un point de vue juridique, l’interdiction s’appuie sur la loi de 2018 relative aux armes et objets dangereux, dont l’article 5 autorise le classement temporaire de certains biens dans la catégorie sensible. Les juristes saluent la cohérence du dispositif, tout en rappelant la nécessité d’un contrôle parlementaire régulier.
Un calendrier encore flou mais un message clair
En attendant les conclusions de l’audit, les forces de l’ordre multiplient les patrouilles nocturnes. À Brazzaville, une baisse notable des attaques à la machette a été constatée depuis deux semaines, selon la police. Le ministère se félicite d’un « signal encourageant » attribué à la combinaison des opérations.
Seules quelques communes rurales, moins dotées en effectifs, redoutent un déplacement de la criminalité. Des renforts issus des unités d’élite doivent y être envoyés. « La prévention ne se limite pas aux villes, nous serons partout », promet un officier supérieur, sans avancer de date précise.
Des alternatives locales à encourager
Cette suspension crée aussi un espace d’innovation. Plusieurs start-up mécaniques étudient la possibilité d’assembler des motos à partir de pièces déjà présentes sur le marché. L’idée séduit la Chambre de commerce, qui y voit une occasion de développer une filière d’emplois techniques à haute valeur ajoutée.
Dans le même esprit, l’École nationale d’agronomie relance ses ateliers de forge traditionnelle pour produire des machettes locales trempées à l’acier de Niari. « Nous voulons montrer que l’on peut sécuriser et produire », explique le professeur Kanza, convaincu du potentiel de la chaîne courte.
Les bailleurs de fonds, notamment l’Agence française de développement, se disent disposés à appuyer techniquement ces programmes si un cadre clair est arrêté. Une mission d’évaluation doit se rendre à Dolisie d’ici la fin d’année pour identifier les besoins en machines-outils et en formation.
Qu’il s’agisse de réprimer les délits ou de stimuler une production nationale, la suspension dresse en réalité deux chantiers complémentaires. Beaucoup d’observateurs y voient un test grandeur nature de coordination entre les ministères de la Sécurité, du Commerce et de l’Industrie, avec, en ligne de mire, la stabilité.
