Des installations vieillissantes sous surveillance
Dans plusieurs artères de Brazzaville, les poteaux électriques se dressent de guingois, câbles visibles, boîtiers ouverts. Les scènes photographiées dans Don Bosco, Sonaco ou Moukondo témoignent d’un réseau construit avant les années 1990, souvent malmené par l’humidité, les termites et la densification urbaine, après des années de service intense.
Cette vétusté n’est pas qu’un désagrément visuel ; elle pose un réel défi de sécurité. Les câbles dénudés effleurent parfois les balcons, des transformateurs rouillés sifflent à chaque pluie. Les enfants, intrigués, s’en approchent, ignorant le danger invisible qui circule à haute tension, en plein centre-ville populeux.
Risques quotidiens pour les riverains
À Don Bosco, un poteau couché sur un toit de tôle depuis plus de quatre ans illustre la lenteur des réparations. « Nous avons écrit trois fois à l’entreprise sans réponse », soupire Jean-Éric, chef de rue. Chaque rafale de vent fait craindre l’étincelle fatale chez les voisins angoissés quotidiennement.
Le tableau est similaire avenue Massina, dans Casis. Des fils rafistolés pendent à hauteur d’homme, frôlant les motocyclistes. Nadège, couturière, raconte avoir reçu une décharge en ouvrant son atelier. « Je porte désormais des gants même pour soulever le rideau métallique », dit-elle, mi-sourire, mi-inquiète, devant ses apprenties stupéfaites.
Les défaillances techniques se conjuguent aux délestages. Selon l’Association congolaise des consommateurs, les coupures ont duré en moyenne huit heures par jour en saison sèche. Petits commerces, cybercafés et ateliers de soudure tournent au ralenti, renforçant la pression déjà forte sur le pouvoir d’achat des ménages modestes locaux.
La réponse de l’Énergie électrique du Congo
Interrogée, l’Énergie électrique du Congo reconnaît des “poches de fragilité” dans le réseau urbain. Son porte-parole, Rodrigue Ibata, assure que des patrouilles techniques sillonnent désormais les arrondissements pour recenser les urgences. « Deux mille poteaux seront changés dès le premier semestre », promet-il aux micros des radios locales.
L’entreprise publique souligne toutefois la complexité des opérations. Certains poteaux abritent d’autres câbles, télécoms ou télévision. « Il faut coordonner les interventions pour éviter des ruptures de service en cascade », explique un ingénieur senior. Les équipes manquent aussi de nacelles, obligeant parfois à louer du matériel privé coûteux.
Un plan d’urgence en préparation
Du côté du gouvernement, le ministère de l’Énergie finalise un plan de modernisation du réseau national évalué à 180 milliards de FCFA. L’objectif est de remplacer les lignes obsolètes et d’augmenter la capacité de transport depuis le barrage de Liouesso vers les deux principales métropoles du pays bientôt.
Le financement associera budget de l’État, emprunts concessionnels et partenariats public-privé. Un premier lot d’équipements, fabriqués à Pointe-Noire, est déjà testé sur la rocade nord. « Nous voulons privilégier l’ingénierie locale pour réduire les coûts », précise Sylvie Okemba, directrice des investissements au ministère de l’Énergie et des Mines.
En attendant ces travaux structurants, des mesures transitoires sont mises en place. Des numéros verts permettent de signaler un danger en temps réel. À Bacongo, plusieurs niches ont été soudées après l’appel d’un comité de quartier, limitant l’accès des enfants aux installations sensibles jusqu’à réhabilitation complète de ces équipements.
Les associations citoyennes réclament aussi une campagne d’information. Pour Dieudonné Mapaga, président de La Voix des Usagers, « expliquer les risques et les bons réflexes peut sauver des vies, surtout pendant la grande saison des pluies ». Une proposition de spots radio en langues locales circule déjà parmi les médias.
Les techniciens rappellent qu’il ne suffit pas de changer les structures visibles ; la plupart des câbles souterrains datent également de plusieurs décennies. Leur isolation, conçue pour un climat moins humide, se détériore. Dans certains carrefours, des fuites de courant ont été mesurées à plusieurs ampères perdus.
Des experts de l’Université Marien-Ngouabi conseillent de coupler rénovation et numérisation. Avec des capteurs placés sur les lignes, les anomalies seraient détectées avant qu’elles ne deviennent dangereuses. Cette démarche, déjà testée au Ghana, aurait réduit de 35 % les incidents liés aux réseaux vieillissants, selon une étude partagée récemment.
Pour financer ces innovations, l’Agence française de développement et la Banque africaine d’import-export ont été sollicitées. Un accord de principe porterait sur une ligne de crédit bonifiée, conditionnée au recrutement de jeunes ingénieurs congolais, afin d’ancrer les compétences dans le pays, et de formation continue.
Des habitants entre crainte et espoir
En dépit des efforts annoncés, l’anxiété demeure palpable dans les quartiers. Joséphine, vendeuse de beignets, redoute la prochaine saison pluvieuse : « Un court-circuit et mon comptoir peut partir en flammes ». Elle observe toutefois les techniciens venus baliser la zone, signe que les choses bougent progressivement vers plus sûr.
La réussite du chantier dépendra enfin de la vigilance de tous. Signalements rapides, respect des zones balisées et paiements réguliers des factures doivent nourrir la chaîne de maintenance. « Le réseau appartient à la nation ; sa protection est une responsabilité partagée », résume le sociologue Arsène Ngoma lucide.
