Un feuilleton salarial qui dure
Le dossier des salaires impayés de la Société des postes et de l’épargne du Congo hante encore les couloirs de Brazzaville. Sur les bulletins, soixante-trois mois d’arriérés s’additionnent, reflétant huit années de retard partiel et de reports successifs qui minent durablement la trésorerie de l’entreprise publique.
Créée pour moderniser le courrier et offrir des services financiers de proximité, la Sopeco emploie environ mille agents répartis dans les chefs-lieux de département et les grandes agglomérations. Sans revenu régulier, beaucoup continuent pourtant d’assurer les guichets, guidés par un sens aigu du service public.
Selon la FESY-POSTEL, principale organisation syndicale du secteur, la situation s’est « installée dans la durée » depuis 2019, moment où la société a vu ses revenus postaux reculer face à la concurrence du numérique. Les versements des salaires auraient alors commencé à devenir irréguliers.
Les salariés entre résilience et difficultés
À l’entrée du centre de tri de Poto-Poto, Ursule, factrice depuis douze ans, confie qu’elle « tient grâce au soutien familial ». Février marquait pour elle la 63e fiche de paie restée vide. Pourtant, elle affirme garder « espoir d’une sortie honorable ».
D’autres témoignages évoquent des prêts personnels devenus difficiles à rembourser, ou le départ de quelques agents vers l’informel pour subvenir aux dépenses scolaires. Le syndicat prévient néanmoins qu’aucune grève illimitée n’est envisagée, privilégiant « le dialogue constructif » avec la tutelle et les ministères financiers.
Le 8 février dernier, une centaine de membres a organisé un sit-in pacifique devant le siège, brandissant pancartes et sifflets. Leur requête centrale visait le départ de la directrice générale, jugée « défaillante ». Le mot d’ordre s’est achevé dans le calme après deux heures.
Dialogue social et pistes gouvernementales
Contacté, le ministère des Postes souligne que « la préservation des emplois demeure prioritaire ». Une table ronde tripartite, réunissant direction, syndicat et État, a ainsi été tenue le 10 mars. Elle a permis d’arrêter le principe d’un calendrier progressif de décaissement des salaires.
Selon un haut cadre du Trésor, une enveloppe d’urgence couvrant trois mois est budgétisée sur le deuxième trimestre. Elle sera complétée par des ressources internes générées grâce au transfert de certains services financiers de l’État vers la Sopeco, afin de consolider des revenus récurrents.
Parallèlement, un audit externe, confié à un cabinet d’Abidjan, doit clarifier la dette globale et proposer une réorganisation. La direction affirme que « les premiers versements pourront intervenir dès la fin de l’été » si les recommandations sont validées par le comité interministériel.
Vers une relance du service public postal
L’assainissement financier s’accompagne d’un vaste chantier de modernisation. Des guichets électroniques pilotes, lancés à Brazzaville et Pointe-Noire, proposent déjà le paiement des bourses d’étudiants. Les responsables espèrent capter un flux régulier de commissions pour soutenir la trésorerie tout en améliorant la qualité de service.
Outre le numérique, le plan de relance mise sur la distribution de colis e-commerce, créneau en plein essor. Un partenariat avec une plate-forme panafricaine est en négociation. « Notre gain potentiel s’élève à huit milliards de francs sur trois ans », avance un membre du conseil.
La Banque postale envisagée l’an dernier reste au stade de projet, mais la direction confirme des discussions avancées avec la Commission bancaire de l’Afrique centrale. L’obtention d’un agrément permettrait d’offrir des comptes courants simples et, surtout, de nouvelles sources durables de revenus.
L’Union postale universelle suit le dossier et, selon nos informations, pourrait offrir un appui technique pour la maintenance du réseau postal. Plusieurs experts estiment qu’une Sopeco assainie deviendrait un maillon important de l’inclusion financière en milieu rural, complémentaire aux banques classiques.
Un horizon qui se dégage lentement
Du côté des usagers, la patience se conjugue avec l’attente de services réinventés. Jules, retraité de Makélékélé, dit préférer « retirer sa pension au guichet plutôt qu’au bout du téléphone ». Pour lui, la stabilité salariale des agents reste « la clé d’une confiance retrouvée ».
Les économistes rappellent que les arriérés de salaires constituent un frein à la consommation locale. « Chaque mois non payé est une micro-crise pour les ménages », résume l’analyste Arsène Okoua. L’apurement annoncé pourrait donc générer un rebond immédiat dans les commerces des quartiers.
Pour les agents, l’engagement présidentiel à soutenir la filière postale nourrit l’optimisme. « Nous croyons à la parole du gouvernement », insiste Euloge, délégué syndical. Dans les couloirs, l’idée d’un versement inaugural symbolique avant le 15 août circule, sans être officiellement confirmée.
Les commerçants de la rue Ouenze estiment déjà l’impact futur. « Si nos clients postiers sont payés, nos ventes de vivres frais grimperont aussitôt », anticipe Mère Rosalie, poissonnière. Pour elle, l’annonce d’un plan de paiement vaut presque autant qu’une campagne de promotion.
En attendant, le personnel continue de trier, affranchir et servir, convaincu que la solution passe par la modernisation autant que par le règlement des arriérés. L’histoire longue de la Sopeco a déjà connu des creux ; beaucoup parient que celui-ci laissera place à un nouvel élan.
