Sur le perron du Palais du Peuple, un adieu appuyé
Les jardins soignés du Palais du Peuple, drapés d’une chaleur méridienne, ont servi de décor à la dernière audience accordée par Denis Sassou Nguesso à l’ambassadeur du Gabon. À l’issue de dix années de mission, René Makongo s’est avancé, le regard à la fois ému et assuré, pour évoquer « de très bons souvenirs » et, surtout, saluer « le leadership constant » du chef de l’État congolais (René Makongo). Son propos, débordant de courtoisie diplomatique, n’avait rien d’anodin : en coulisses, le diplomate aura été un témoin privilégié des mutations urbaines et politiques qui, au cours de la dernière décennie, ont reconfiguré Brazzaville.
Un bilan décennal auréolé d’infrastructures et de cohésion
Le représentant gabonais n’a pas manqué de souligner la portée des chantiers structurants mis en œuvre : routes inter-urbaines, ponts sur le fleuve et équipements sanitaires qui, ensemble, contribuent à redessiner la capitale. Au-delà du béton, René Makongo s’est déclaré impressionné par « la promotion d’une cohésion sociale authentique ». Si la formule peut sembler convenue, les observateurs relèvent qu’entre croissance démographique et défis urbains, Brazzaville a vu se multiplier les initiatives de médiation communautaire, souvent patronnées par la présidence. Le ministère de l’Intérieur évoque une baisse de près de 15 % des litiges interquartiers depuis 2018, un indicateur que les chancelleries regardent avec intérêt.
Congo–Gabon : des ponts culturels qui précèdent les ponts routiers
Dans son propos d’adieu, le diplomate a rappelé la « proximité géographique, culturelle et historique » que matérialise une frontière de près de deux mille kilomètres. Le trafic routier transfrontalier a doublé en cinq ans, stimulé par des procédures douanières rationalisées et par l’essor d’un commerce informel qui irrigue les marchés de Makélékélé et de Mouila. Les universités, elles, échangent des chercheurs autour de la botanique équatoriale et de la gestion durable des forêts, alignant leurs programmes sur l’Initiative mondiale pour les tourbières tropicales soutenue par Brazzaville. Selon un haut fonctionnaire du ministère gabonais des Affaires étrangères, « ces échanges académiques outillent une jeunesse qui traverse la frontière plus vite que les idées reçues » (sources diplomatiques).
Brazzaville, plaque tournante d’une diplomatie environnementale
Avec un couvert forestier évalué à plus de 60 % du territoire, le Congo s’est mué en interlocuteur majeur dans la conversation climatique mondiale. La signature, en mars 2023, du Partenariat pour la préservation des écosystèmes du Bassin du Congo en présence de plusieurs chefs d’État voisins, a réaffirmé la centralité de Brazzaville. René Makongo l’a reconnu en saluant « la protection intelligente de l’environnement ». Sur le terrain, des observateurs internationaux notent que la surveillance satellitaire des coupes commerciales, couplée à des patrouilles mixtes, commence à porter ses fruits : la déforestation annuelle aurait reculé de 5 % entre 2021 et 2023.
Un message venu de Kinshasa et la consolidation sous-régionale
Le même jour, l’ancien ministre congolais de la RDC, Antoine Gonda Mangalibi, porteur d’une lettre scellée de Félix Tshisekedi, a été reçu par le président Sassou Nguesso. Aucun détail n’a filtré, mais le timing interpelle : à la veille de pourparlers de Nairobi sur la pacification de l’Est congolais, Brazzaville apparaît comme un facilitateur discret. Les milieux diplomatiques spéculent sur une relance du processus de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs, forum dont le président congolais reste l’un des artisans historiques. « Brazzaville dispose de l’écoute des parties et d’une réputation de neutralité active », glisse un expert du Centre d’études stratégiques d’Afrique centrale.
Regards croisés sur un avenir partagé
Lorsque René Makongo évoque le dossier qu’il transmettra à son successeur, il parle de « rester à l’écoute de l’État du Congo ». L’expression résume l’état d’esprit d’une diplomatie de proximité : privilégier le dialogue, capitaliser sur les affinités culturelles et poursuivre la dynamique d’intégration. Pour Brazzaville, l’enjeu est clair : conforter son rôle de carrefour politique et logistique au sein d’une Afrique centrale en quête de stabilité. Et pour Libreville, consolider un voisinage pacifique propice à l’interconnexion des économies et à la gestion commune des forêts équatoriales. Au croisement de ces intérêts, la poignée de main échangée sur le perron du Palais du Peuple prend valeur de symbole : celui d’une ovation partagée pour une coopération qui a résisté aux aléas du temps et entend, selon les mots mêmes du diplomate, « s’écrire sur le long terme ».