Alerte sanitaire sur l’île Mbamou
Le fleuve Congo, artère vitale et frontière liquide entre les capitales jumelles de Brazzaville et Kinshasa, abrite en son sein l’île Mbamou. Ce territoire, souvent oublié des projecteurs médiatiques, concentre aujourd’hui l’attention nationale : six décès et cent quatre-vingt-sept cas suspects de choléra y ont été répertoriés par les services de surveillance épidémiologique. Les premiers échantillons biologiques adressés au Laboratoire national ont confirmé la présence de Vibrio cholerae dans six prélèvements, assez pour déclencher le protocole d’urgence sanitaire.
Située administrativement dans l’arrondissement 1er de la capitale, l’île Mbamou se caractérise par des zones d’habitat traditionnel, une densité démographique variable au gré des crues et un accès à l’eau potable encore inégal. Cette triple contrainte – insularité, précarité et mobilité – explique en partie la vulnérabilité de ses habitants aux maladies hydriques. Dans les allées sablonneuses bordant le fleuve, des habitants racontent avoir vu les premières diarrhées aiguës s’enchaîner « en moins de vingt-quatre heures », mettant en avant la violence clinique typique du choléra.
Une riposte institutionnelle structurée
Alerté dès la confirmation des cas, le ministère de la Santé et de la Population a déclenché le Plan national de préparation et de réponse aux épidémies. « Le cordon sanitaire est effectif. Tous les acteurs – santé, hydraulique, environnement, société civile – travaillent sous la même tente de coordination », a précisé le professeur Jean-Médard Nkankou, directeur de l’épidémiologie et de la lutte contre la maladie, lors d’un point presse donné au Centre de santé intégré de Mbamou. Un poste avancé de traitement a été aménagé, tandis qu’une chaîne logistique assure l’acheminement de sels de réhydratation orale, d’antibiotiques et de solutions chlorées.
La mobilisation ne s’arrête pas à la berge. À Brazzaville-centre, les autorités municipales supervisent le contrôle renforcé de la potabilité de l’eau distribuée par la Société nationale de distribution d’eau, ainsi que l’assainissement des marchés populaires, où les denrées non cuites peuvent constituer un vecteur secondaire. Des organisations partenaires, notamment l’OMS et l’UNICEF, appuient la surveillance épidémiologique communautaire et la formation accélérée du personnel de santé.
Enjeux d’hygiène et d’infrastructures urbaines
Si la riposte immédiate vise à réduire la morbidité, la persistance du choléra repose souvent sur des déterminants structurels. Dans plusieurs quartiers riverains de la capitale, les latrines traditionnelles côtoient encore les puits domestiques, créant un risque de contamination croisée accentué pendant la saison des pluies. Selon un rapport conjoint Eau et Assainissement publié l’an dernier, près d’un quart des ménages brazzavillois n’accèdent pas quotidiennement à une eau traitée. Ce déficit, conjugué au développement spontané d’habitats informels, rend la tâche ardue aux communes chargées du service public d’assainissement.
Les autorités congolaises insistent néanmoins sur la progression enregistrée ces dernières années. Le programme présidentiel Eau pour Tous, lancé en 2018, a permis de poser plus de deux cents kilomètres de conduites secondaires et de réhabiliter plusieurs forages semi-urbains. Les responsables rappellent que l’objectif d’accès universel à une eau sûre d’ici 2030 s’inscrit dans l’Agenda 2063 de l’Union africaine. Sur le terrain, les comités de quartier relaient ces ambitions en encourageant la chloration des puits familiaux et le drainage régulier des eaux stagnantes.
Sensibilisation communautaire et perspectives
Au-delà des infrastructures, la lutte contre la « maladie des mains sales » se gagne dans les gestes du quotidien. Des mégaphones diffusaient bientôt, depuis les pirogues d’Agents de santé communautaire, des messages invitant les riverains à se laver les mains avec du savon après chaque passage aux latrines, à faire bouillir l’eau avant consommation et à éviter toute vente d’aliments crus dans les zones touchées. Ces recommandations, classiques, prennent une résonance particulière dans la culture urbaine brazzavilloise, où l’alimentation de rue constitue une sociabilité autant qu’un gagne-pain.
Les leaders communautaires, imams et pasteurs compris, ont été associés aux cellules de crise afin de relayer les conseils de prévention durant les offices. « La santé est une responsabilité partagée », souligne le révérend Pasteur Michel Samba, qui a dédié son homélie dominicale au devoir moral de protection collective. Ce travail de proximité complète la vaccination orale anticholérique, envisagée dans les districts à risque dès que les stocks internationaux seront disponibles.
À court terme, la courbe épidémique sera suivie quotidiennement par le Comité technique national, qui décidera du maintien ou de l’allègement du cordon sanitaire. À moyen terme, plusieurs experts plaident pour une planification urbaine intégrant davantage la notion d’ilot fluvial comme Mbamou : renforcement des ouvrages hydrauliques, desserte régulière en eau chlorée, et système d’alerte précoce fondé sur des sentinelles communautaires. Ces pistes, conjuguées à une gouvernance sanitaire collaborative, augurent la possibilité de transformer une crise aiguë en levier d’amélioration durable du système de santé publique.
Alors que les pirogues poursuivent leur ballet entre les deux rives, Brazzaville scrute les bulletins épidémiologiques avec la vigilance d’une capitale qui sait désormais que la moindre éclaboussure du fleuve peut résonner jusqu’aux artères du Plateau des 15-Ans. Le fleuve impose ses défis, mais il rappelle aussi l’interdépendance d’un territoire où santé, environnement et développement demeurent indissociables.