Un cinéma à ciel ouvert au cœur de Brazzaville
Le 5 septembre, la cour du siège congolais du Programme des Nations unies pour le développement s’est métamorphosée en salle de projection improvisée. Lanternes, tapis et écrans géants ont attiré curieux, cinéphiles et riverains, formant une foule familiale et détendue.
La soirée lançait le Mwassi Festival, rendez-vous dédié aux créations féminines africaines. En choisissant un lieu ouvert, l’équipe organisatrice souhaitait faire tomber les murs symboliques du cinéma et inviter tout Brazzaville à partager un moment de culture partagée.
Trois courts-métrages, trois regards féminins
Premier film projeté, Les tissus blancs de Moly Kane suit Zuzana, jeune Sénégalaise hantée par une blessure intime à la veille de son mariage. Entre ombre et lumière, le réalisateur questionne les normes sociales et invite à entendre le poids du non-dit féminin.
La caméra s’est ensuite déplacée à Bangui avec Chambre n°1, documentaire signé Leila Thiam. Dans la salle de traumatologie, dix patientes mêlent souvenirs douloureux, éclats de rire et chants, rappelant qu’au cœur de la souffrance persistent des ressorts puissants de solidarité.
Le programme s’est clos sur Wakassa : briser le silence de la Congolaise Razia Mahoumi. Le court-métrage réhabilite Alice Badiangana, militante encore méconnue des années soixante, et interroge la mémoire collective sur la place des femmes dans les luttes nationales.
Entre intimité et engagement politique
Pour Pierre-Manau Ngoula, connue sous le nom de Pierre-Man’s, cette sélection incarne l’ADN du festival. La directrice rappelle que Mwassi, mot lingala qui signifie « femme », veut montrer comment le corps féminin traverse à la fois des histoires privées et collectives.
Elle explique avoir voulu « rendre l’intime politique » en réunissant des œuvres où la parole s’empare des cicatrices, physiques ou symboliques. Son pari est qu’en exposant ces expériences, chaque spectateur interroge sa propre perception de la violence et de l’égalité des chances.
Le choix d’un écran géant dans la cour du Pnud n’est pas anodin. Selon Pierre-Man’s, l’espace public devient lui-même décor et message : sortir le cinéma des salles climatisées pour le rapprocher des quartiers montre que la culture appartient à tous.
Réactions d’un public conquis
Au terme de la projection, un silence chargé a précédé de longs applaudissements. Merveille Ramirez, étudiante en communication, confie avoir été « bouleversée » par la réalité mise à nu. Pour elle, l’écran a transformé des témoignages lointains en histoires qui pourraient toucher sa voisine.
D’autres spectateurs ont salué la dimension transnationale de la soirée. « On a voyagé sans quitter Brazzaville », glisse Michel, chauffeur de taxi. Les échanges improvisés près des stands de jus locaux prolongeaient l’expérience, mélangeant souvenirs personnels, conseils juridiques et promesses de futures collaborations.
Un partenariat fort avec le Pnud
Partenaire de l’événement, le Pnud voit dans Mwassi une vitrine pour ses propres programmes d’autonomisation. La représentante résidente, Adama-Dian Barry, a rappelé que « la compétence n’a pas de sexe » avant d’encourager les jeunes spectatrices à s’essayer aux métiers techniques du cinéma.
Cette prise de parole illustre le dialogue constant entre institutions internationales et initiatives locales. En soutenant la logistique ou la communication, l’agence onusienne espère multiplier ces espaces d’expression qui, selon elle, nourrissent confiance et cohésion au sein des communautés urbaines.
Mwassi, un festival qui s’ancre dans la cité
Né en 2021, le Mwassi Festival a d’abord circulé dans des cafés et des centres culturels de quartier. Son ambition grandit à chaque édition : proposer des résidences d’écriture, des ateliers de montage et, à terme, un concours de scénarios réservé aux lycéennes.
Le comité d’organisation insiste aussi sur l’accessibilité. En plus des projections gratuites, il mise sur les réseaux sociaux pour diffuser capsules vidéo et masterclasses courtes. Cette stratégie hybride touche un public jeune, connecté, souvent éloigné des salles traditionnelles pour des raisons financières ou géographiques.
Pour prolonger l’impact, un débat radiophonique sera enregistré et diffusé sur plusieurs antennes locales. Des intervenantes, juristes et médecins, y reviendront sur la prévention des violences basées sur le genre, traduisant en conseils pratiques les émotions suscitées par les films.
Interrogée sur la place des hommes, Pierre-Man’s répond qu’ils sont les bienvenus. Selon elle, les projections mixtes ouvrent la discussion essentielle sur la responsabilité collective. « Les images touchent tout le monde, et c’est ensemble que l’on change les rapports de pouvoir », assure-t-elle.
Alors que les industries culturelles africaines connaissent un essor remarqué, Mwassi entend se positionner comme maillon d’un écosystème vertueux. Offrant plateforme et visibilité, le festival espère attirer à l’avenir des producteurs, des diffuseurs et pourquoi pas un marché du film sous palmiers brazzavillois dédié.
En attendant, la magie du 5 septembre restera gravée : un écran blanc sous les étoiles, des récits de courage et de dignité, et l’impression que l’art, même fragile, peut ouvrir des chemins pour une société plus juste et inclusive.