Un vieux rêve remis sur la table
Séparées par les 4 kilomètres du fleuve Congo, Brazzaville et Kinshasa se font face depuis plus d’un siècle sans liaison terrestre directe. L’idée d’un pont route-rail circule depuis les années 1990, sans jamais dépasser l’étape des études.
En janvier 2025, lors d’une réunion bilatérale à Brazzaville, la Première ministre de la RDC, Judith Suminwa, et le ministre congolais de l’Aménagement du territoire, Jean-Jacques Bouya, ont décidé de relancer le dossier. « Nos deux peuples l’attendent », a déclaré Mme Suminwa à l’issue des discussions.
Pourquoi le chantier avait-il été gelé ?
Le projet, annoncé en fanfare en 2018 avec un coût prévisionnel d’1,3 milliard de dollars, dépendait d’un montage financier mêlant prêts concessionnels et partenariat public-privé. Les négociations avaient ralenti en raison de la pandémie et de l’évolution des priorités budgétaires.
Les deux gouvernements affirment aujourd’hui qu’ils disposent d’« un tour de table rééquilibré ». La Banque africaine de développement, déjà impliquée dans les études préliminaires, confirme son intérêt tout comme Africa50, le fonds panafricain dédié aux infrastructures.
Un trait d’union stratégique
Long de 1 575 mètres, le pont accueillerait deux voies routières, une voie ferrée à écartement métrique et une passerelle piétonne. Il partirait du quartier Maloango, au sud de Brazzaville, pour rejoindre Maluku, à l’est de Kinshasa.
Selon le ministère congolais de l’Équipement, l’ouvrage réduira le temps de traversée officiel à moins de dix minutes contre plusieurs heures via les barges actuelles. « La fluidité stimulera immédiatement les échanges commerciaux transfrontaliers », anticipe l’économiste Armand Mpassi, de l’université Marien-Ngouabi.
Des retombées économiques attendues
Les estimations tablent sur un doublement du volume de marchandises entre les deux capitales dans les cinq ans qui suivront l’ouverture. Les produits agricoles de la plaine de la Cuvette pourraient accéder plus vite au gigantesque marché kinois de vingt millions d’habitants.
Côté emplois, le chantier devrait mobiliser environ 3 000 ouvriers, dont 70 % recrutés localement. « Nous veillerons à la formation des jeunes diplômés en génie civil », promet M. Christel Denis Songa, directeur de l’Agence congolaise des grands travaux.
Enjeux pour l’intégration sous-régionale
Le pont s’inscrit dans le corridor Lagos-Mombasa, couloir de la Zone de libre-échange continentale africaine. Il complétera le réseau routier RN1-Route Nationale 2 côté congolais et la future voie rapide Kinshasa-Matadi en RDC.
La Commission économique pour l’Afrique centrale y voit « un jalon majeur pour fluidifier le commerce intra-africain, encore inférieur à 17 % des échanges totaux ». Le Congo-Brazzaville espère aussi attirer des investisseurs vers son port en eau profonde de Pointe-Noire.
Calendrier et étapes clés d’ici 2025
Les études d’impact environnemental réactualisées seront déposées au premier trimestre. Le lancement des appels d’offres pour le génie civil est prévu en juillet, tandis que la signature du contrat de concession doit intervenir avant décembre.
Si ce chronogramme est respecté, le début des travaux interviendrait mi-2026 pour une livraison envisagée en 2030. « Le planning est ambitieux mais réaliste si les financements sont bouclés cette année », analyse l’ingénieure Adèle Okemba, consultante indépendante.
Financement : la clé du succès
Le coût actualisé, estimé à 1,9 milliard de dollars, sera réparti entre prêts multilatéraux, apport des deux États et participation privée. La RDC prendrait en charge le tablier ferroviaire, tandis que le Congo financerait les accès routiers et le poste de péage.
La Banque africaine de développement envisage un prêt de 300 millions de dollars à taux préférentiel. Le reste pourrait provenir d’euro-obligations vertes, le projet incluant des matériaux bas carbone et des compensations de reboisement sur les rives.
Sécurité et facilitation douanière
Les administrations douanières promettent un guichet unique pour fluidifier le passage. Les deux capitales expérimentent déjà le système électronique SydoniaWorld. Des scanners fixes permettront de contrôler les conteneurs sans ralentir le trafic.
La police fluviale sera remplacée par une brigade mixte terrestre. « Le pont ne doit pas devenir un couloir informel », insiste le général Paul Obili, coordinateur congolais du dispositif. Des caméras intelligentes et une connexion fibre optique garantiront la surveillance 24 h/24.
Perceptions des riverains
À Brazzaville, des commerçantes du marché Total espèrent vendre leurs tissus à Kinshasa sans recourir aux pirogues. « Le pont va changer notre quotidien », confie Marie-Thérèse Ngoma. À Maluku, des agriculteurs redoutent la perte de terres, mais les autorités promettent des indemnisations transparentes.
Les organisations de la société civile réclament un dialogue continu. Un comité de suivi incluant chefs coutumiers, autorités municipales et ONG environnementales siègera tous les trimestres.
Un symbole au-delà du béton
Au-delà des chiffres, le pont incarne la volonté des deux pays de tourner la page des rivalités du passé. « Nous voulons que le fleuve soit un trait d’union, pas une frontière », a souligné le ministre congolais des Affaires étrangères, Jean-Claude Gakosso.
Si le calendrier est tenu, le premier train franchira le fleuve en 2030. Une traversée de quelques minutes qui pourrait redessiner la carte économique de l’Afrique centrale. En attendant, les barges continueront leur ballet quotidien, mais l’horizon se dégage enfin pour le pont Congo.
