Une décision parisienne très attendue
La cour d’appel de Paris a rendu un jugement très scruté mardi soir, ouvrant la voie au rapatriement de la dépouille du chanteur Pierre Moutouari vers Brazzaville. L’ordonnance confie l’autorité funéraire à son aînée officielle, Michaëlle Moutouari, après plusieurs mois de tensions familiales.
Dans la capitale congolaise, la nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre, des studios de télévision aux vendeurs de disques du marché Total. Beaucoup saluent un verdict jugé conforme à la volonté présumée de l’artiste, exprimée selon ses proches lors d’entretiens privés.
Deux procès pour un même cercueil
Avant d’aboutir à cette conclusion, la querelle funéraire a traversé deux juridictions françaises. Première étape : le tribunal d’Évry, compétent pour le lieu de résidence du chanteur. Michaëlle y a plaidé la primauté des rites congolais et la promesse paternelle d’un retour « au pays ».
La partie adverse, conduite par la benjamine Chimène, a dénoncé un abandon supposé du père par l’aînée. Le juge d’Évry, estimant le dossier coutumier solide, a donné raison à Michaëlle. Insatisfaite, Chimène a fait appel, portant le litige devant la cour d’appel de Paris.
Les coutumes congolaises au cœur du débat
Devant les magistrats parisiens, les avocats ont élargi le débat, rappelant que le Congo-Brazzaville reconnaît le droit ancestral de la famille à décider du lieu d’inhumation. Me Jean-Claude Mbemba, conseil de Michaëlle, a souligné « l’importance symbolique de la terre natale pour les disparus ».
Les défenseurs de Chimène ont, eux, pointé des « fractures familiales profondes » et accusé l’aînée d’avoir exercé des pressions. Après trois heures de délibéré, la cour a cependant confirmé la primauté de la tradition et validé le transfert, estimant l’accord des autorités consulaires acquis.
Tentative d’apaisement familial
Dans un souci d’apaisement, la formation a distingué deux missions : Michaëlle supervise le rapatriement, alors que l’organisation pratique des obsèques revient à Chimène. « Nous irons main dans la main pour honorer papa », a déclaré cette dernière à la sortie du palais, sous les flashes.
Selon une source proche du dossier, le corps pourrait quitter Paris d’ici quinze jours, le temps de régler les formalités administratives et de réserver un vol cargo spécialisé. La mairie de Brazzaville a d’ores et déjà proposé de mettre à disposition le funérarium municipal.
L’ombre d’un secret de famille
Derrière la procédure, c’est un différend ancien entre sœurs qui transparaît. Des proches évoquent la découverte tardive d’un enfant né d’une relation extraconjugale du musicien dans les années 1970, information qui bouleverserait l’ordre de préséance familial établi depuis longtemps.
Interrogée par notre rédaction, la sociologue Irène Massanga rappelle que « les lignages denses connaissent parfois des crispations, surtout lorsque s’ajoutent notoriété et biens symboliques ». Elle estime toutefois que la médiatisation du conflit peut, à terme, favoriser la réconciliation grâce au regard apaisant du public.
Le legs musical célébré
En attendant l’avion, les radios locales rediffusent en boucle les standards de l’artiste : Fauteuil Président, Maria Mboka, ou encore Sakana. Chacune de ces chansons rappelle l’influence majeure de Pierre Moutouari sur la rumba congolaise et la trajectoire de toute une génération de musiciens.
Le ministère de la Culture a confirmé la mise à disposition de l’esplanade du Palais des congrès pour un dernier hommage populaire. « Moutouari a porté haut les couleurs nationales ; c’est l’occasion de lui dire merci », souligne le directeur des arts, Dieudonné Loukaka, dans un communiqué.
Cap sur Brazzaville pour les obsèques
Le programme provisoire fait état d’une veillée artistique, d’une messe à la cathédrale Sacré-Cœur puis d’une inhumation au cimetière du centre-ville, à deux pas du quartier où l’enfant de Mouyondzi avait composé ses premières mélodies. Les fans préparent déjà banderoles et tee-shirts commémoratifs.
Les autorités municipales misent sur une affluence importante, comparable à celle observée lors des adieux à Aurlus Mabélé en 2020. Des équipes de sécurité seront mobilisées autour des principaux axes pour fluidifier la circulation et permettre aux visiteurs de se recueillir dans la quiétude.
Un symbole pour la scène culturelle
Pour nombre d’observateurs, ce rapatriement dépasse le simple cadre d’un deuil familial. Il symbolise le lien indéfectible entre diaspora et terre d’origine, à l’heure où de nombreux Congolais de l’étranger s’interrogent sur les modalités d’un éventuel retour au pays.
Le sociologue Pascal Bitala voit dans la décision parisienne « un précédent encourageant pour la reconnaissance des coutumes d’Afrique centrale dans les tribunaux européens ». Selon lui, le dialogue interculturel autour du funéraire pourrait inspirer d’autres familles confrontées à des situations comparables.
En attendant les chants de la chorale nationale, Brazzaville se prépare à accueillir l’un de ses fils prodiges une dernière fois. Et, peut-être, à refermer une page douloureuse pour permettre aux héritiers de concentrer leurs énergies sur la préservation d’un patrimoine musical inestimable.
Des retombées économiques espérées
Les hôtels du centre anticipent déjà une hausse des réservations. « Pendant les funérailles de Papa Wemba à Kinshasa, notre taux d’occupation avait bondi ; il en sera de même ici », note André Goma, président de l’association hôtelière, qui espère dynamiser l’offre touristique.
